Futarchie: gouverner par les marchés

Dodecahedr0x
7 min readFeb 21, 2024

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Gouverner correctement est un exercice difficile. Il faut non seulement reconnaitre les bonnes idées et se donner les moyens de les réaliser, il faut également empêcher les intérêts personnels des participants de prendre le dessus, au détriment de l’organisation.

La démocratie, en mêlant un grand nombre de participants à la prise de décision, permet d’éviter la concentration de ces intérêts particuliers. Le revers de la médaille est cette large implication prends du temps et peut parfois se révéler inefficace. Une solution fréquemment utilisée contre ce manque de vitesse est l’introduction de comités de représentants, mais qui réintroduit le risque de corruption que la large participation devait éliminer.

Les monstres de la cupidité se ruent sur le juste détenteur de la richesse

Une fois accepté que les vices qui touche la gouvernance font partie intégrante de l’humain, l’une des premières questions qu’un optimiste se pose est : existe-t-il un mode de gouvernance qui, plutôt que de tenter de lutter contre l’avidité et la cupidité, les utilisent comme moteur pour des prises de décision plus juste ? C’est ce que croient les “futards”, ces membres de MetaDAO, la première futarchie de Solana. Explorons d’un peu plus près ce que signifie cette étrange salade de mots, en nous intéressant d’abord aux organisations sur les blockchains, à ce qu’est la futarchie, puis enfin à cette fameuse MetaDAO.

Les DAOs

Les blockchains sont des technologies qui peuvent permettre de faciliter la confiance à une échelle globale tout en éliminant les points de fragilité centralisées. Des organisations ont donc naturellement commencé à mettre en place leurs système de gouvernance directement sur des blockchains, avec l’espoir de bénéficier de leurs propriétés. C’est aussi naturellement que Solana, rapide et abordable, soit le foyer d’un nombre croissant de ces organisations. On nomme généralement une telle organisation une DAO, ou Organisation Autonome Décentralisée en français.

Les participants de la DAO réfléchissent à leur prochaine décision

Cependant, il ne suffit pas de mettre son système de gouvernance sur une plateforme de confiance comme une blockchain pour garantir que tout se passe bien ! De nombreux systèmes possèdent des faiblesses évidentes, comme le ploutocratique “1jeton-1vote”, où le jeton est souvent soit concentré par un petit nombre de participants parfois peu fiables, soit largement distribué mais les gens se fichent de gouverner activement et il devient impossible d’atteindre les quorums. Certaines DAO en ont d’ailleurs déjà fait les frais, comme ParrotFi, dont les porteurs majoritaires (largement constitué de quelques insiders) ont, dans un braquage digne d’un grand film, décidé de vider le coffre de près de 70 millions de dollars. Cette décision a été sans appel pour les petits porteurs, qui se s’ont empressés de vendre leurs jetons avec le peu de liquidité disponible, réalisant le plus souvent d’énormes pertes.

La futarchie

Face aux problèmes dont est victime la gouvernance, l’économiste Robin Hanson propose un mécanisme qu’il baptise “futarchie”. Dans ce système, les décisions ne sont pas prises lorsqu’un suffisamment grand nombre de participants a voté pour, mais quand les participants valorisent suffisamment l’exécution de la décision plutôt que l’inaction. Et pour que les participants expriment leur perception de cette différence de valeurs ajoutées, la futarchie fait appel aux marchés.

Les participants de la futarchie sont de véritables traders et doivent chercher à maximiser leurs profits pour chacune des issues de la décision. Ainsi, un participant perspicace pourra anticiper que le passage d’une décision donnée a un impact positif sur le prix du jeton de la DAO que le marché n’a pas encore intégré. En conséquence, il achète plus de jeton dans le cas où la décision est prise que dans le cas de l’inaction, ce qui entraine une hausse de prix relative, et la futarchie finira alors valider cette décision.

Un capitaine gouverne grâce aux marchés

L’un des problèmes de la gouvernance 1jeton-1vote est que certains, en particulier les plus petits porteurs n’ont pas d’intérêt à voter puisque leur voix ne pèse rien dans le scrutin. La futarchie règle ce problème avec l’introduction de marchés, permettant aux plus avisés de gagner de l’argent lorsqu’ils anticipent correctement la perception de la valeur ajoutée d’une proposition.

A l’opposé, la futarchie protège les petits porteurs en leur fournissant une sortie favorable et liquide en cas de décision qui leur serait préjudiciable. En se basant sur l’exemple de ParrotFi, la futarchie aurait forcé les insiders à plus valoriser la décision de vider les coffres que de ne rien faire, permettant aux porteurs en désaccord de vendre à cette valorisation gonflée. Les insiders doivent maintenir cette valorisation tant que des porteurs vendent, au risque de voir la décision refusée. A la place, les porteurs de ParrotFi ont vu s’effondrer le cours du jeton PRT, impuissant devant la majorité détenue par les insiders et la faible liquidité restantes.

La futarchie a des similitudes avec les marchés prédictifs tels que PolyMarket, puisque dans les deux cas les participants parient sur une issue. La différence est que les marchés prédictifs, bien que basé sur des vérités facilement vérifiables, repose en pratique sur des oracles, ce qui implique le plus souvent une forme de comité. La futarchie en revanche intègre tous les éléments dont elle a besoin pour chaque proposition, ce qui la rend d’autant plus pertinente sur une blockchain, où des tas de primitives DeFi sont disponibles pour permettre des marchés efficaces et accessibles.

MetaDAO

Bien que des tentatives d’implémentation de futarchie aient déjà eu lieu (comme par exemple ici, ici ou ici), aucune d’entre elles n’a aboutie. C’est seulement récemment sur Solana que la donne a changé : la MetaDAO, créée à l’origine par l’énigmatique Proph3t, a montrée qu’elle était non seulement capable de se développer de manière autonome, elle a également démontré sa capacité à résister à des “attaques” extérieures.

Dès le début du projet en automne 2023, l’idée de futarchie fascine et attire des personnalités de Solana, telles que DurdenWannabe (Lifinity), Bigz (Drift) ou Dean (Deanslist). Tout de suite, une incroyable effervescence nait sur le Discord de la MetaDAO, où les brouillons de propositions, memes, et suggestions fusent dans tous les sens. La communauté a même fini par se trouver un nom : les futards, né de la composition de futarchie et “retard”, évoquant l’obstination des membres à mettre leur destin dans les mains du marché. Aujourd’hui encore, les discussions ayant lieu au sein de l’organisation sont d’une qualité rare dans l’écosystème crypto.

Les futards s’organisent

Le fonctionnement actuel de la MetaDAO est le suivant : une fois qu’une proposition semble prête, n’importe qui peut la soumettre aux marchés, qui décideront de son sort. Les participants peuvent alors déposer leurs META (le jeton natif de la DAO) ou leur USDC dans le “coffre conditionnel” de la proposition, et leur offre en contrepartie des jetons utilisables spécifiquement sur les marchés liés à la proposition. Ainsi, pour 1 USDC on obtient un “fUSDC” et un “pUSDC”, les jetons à utiliser respectivement sur les marchés dans le cas où la proposition échoue et le cas où la proposition est acceptée.

Pour exprimer par exemple un avis favorable à une proposition, un participant peut décider d’acheter du pMETA avec des pUSDC, et vendre des fMETA en échange de fUSDC. Si la proposition est validée, alors le participant détient désormais plus de META qu’avant. Si la proposition échoue, le participant a pu vendre ses META à un prix avantageux.

C’est ainsi que durant la Proposition 6 où un investisseur fortuné a tenté d’acquérir un grand nombre de META à un faible prix, les participants, qu’ils soient membres de la MetaDAO ou non, ont collectivement décidé d’acheter massivement du fMETA, causant le rejet de la proposition. La possibilité pour n’importe qui de participer à la gouvernance est cependant une arme à double tranchant, puisque bien que cela ait permis à des étrangers de venir défendre les intérêts de la DAO en s’alignant avec elle, cela a également permis l’arrivée soudaine de gros investisseurs pesant dans les discussions.

Conclusion

Les technologies de l’information ont le pouvoir de transformer la façon dont les humains s’organisent. Les blockchains comme Solana en sont un exemple, en fournissant des plateformes de calculs de confiance, accessible, transparente, rapide et abordable. Construire nos systèmes de gouvernance sur ces plateformes permet d’en améliorer la qualité mais ne règle pas tous les problèmes. La futarchie tente d’en résoudre une partie, notamment le manque d’intérêt pour les plus petits participants ainsi le problème de l’absence de conséquences pour les acteurs ayant contribué à la mise en place de mauvaises politiques. La MetaDAO est la dernière expérience dans le domaine et ses récentes aventures sont extrêmement prometteuses.

Vous êtes invités à contribuer à cette expérience tout d’abord en suivant l’avancée du collectif sur Twitter, Warpcast et Discord, mais aussi en intéragissant directement avec les différentes propositions en cours (il y en a actuellement 3 au moment de l’écriture de ces lignes).

Cette article a été écrit dans pour le concours de Solana Scribes, dont je tiens à remercier les organisateurs, dont Laloutre et Superteam.

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